MANIFESTE DES HUMANISTES 3.0
1. Pourquoi ce manifeste
Il y a encore aujourd’hui une manière dominante
De lire les parcours professionnels
Une manière faite de lignes droites, de constance, de progressions logiques
Une manière qui rassure, qui coche des cases, qui rentre bien dans les grilles
Et puis il y a d’autres trajectoires
Moins attendues, moins cohérentes à première vue
Plus riches, plus complexes, parfois plus risquées
Des parcours qui bifurquent
Qui croisent plusieurs domaines
Qui semblent ne pas suivre de logique
Ces trajectoires-là sont encore trop souvent perçues
Comme un défaut, comme un handicap
Comme un manque de constance, une instabilité
Une dispersion, une absence de compétence solide
Mais le monde a changé
Il va plus vite, il est plus flou, il demande d’autres aptitudes
Et les grilles de lecture, elles, n’ont pas suivi
C’est pour cela que ce manifeste existe
Pour pointer ce décalage
Pour proposer d’autres critères
Pour rendre visible ce que l’évidence oublie :
Notre valeur ne tient pas en une ligne.
2. Les humanistes 3.0
Nous sommes les héritiers d’une vieille ambition
Celle de comprendre
D’apprendre
D’explorer
Celle des humanistes de la Renaissance
Mais notre monde n’est plus celui de Léonard de Vinci
Le savoir n’est plus rare
Il est partout
Accessible
Instantané
Vertigineux
Nous n’avons plus des décennies pour maîtriser
Nous avons des mois
Parfois des semaines
Ce que nous partageons avec les humanistes
C’est la curiosité insatiable
La soif de comprendre
La volonté de maitrise
Ce qui nous en sépare, c’est la vitesse, c’est la complexité
Et l’obligation de bâtir dans un monde en mouvement perpétuel
Nous sommes les humanistes 3.0.
3. Ce que les grilles rigides ne voient pas
Quand un parcours ne suit pas le tracé attendu, il est vite suspect
Les entreprises se demandent : pourquoi autant de changements ?
Pourquoi cette rupture ? Ce détour ? Ce retour en arrière ?
On lit instabilité là où il y avait nécessité
On lit dispersion là où il y avait curiosité
On lit manque de vision là où il y avait adaptation
Parce qu’on cherche la facilité
Des diplômes, des intitulés clairs, des progressions logiques
Des grilles et des cases à cocher
Mais ce que les grilles ignorent, et que les cases font disparaître
C’est la richesse formidable des parcours pluriels
Ce qu’elles ne voient pas, c’est la vitesse et la qualité d’apprentissage
La curiosité, la capacité à relier, à traduire, à faire circuler les idées
Les ponts créés entre des univers cloisonnés
Ce qu’elles ne voient pas
Ce sont les atouts de ces parcours
Ce qu’ils peuvent leur apporter
Les entreprises veulent de l’agilité, de l’innovation, de la transversalité
Mais elles ne veulent pas changer
Elles continuent à recruter avec des critères faits pour un monde d’avant
Elles créent de nouveaux postes, de manière plus ou moins heureuse
Vous rappelez-vous les Chief Happiness Officers ?
Mais cela reste des postes bien balisés :
Elles ne savent pas penser autrement.
Résultat : elles ne savent pas quoi faire de ces parcours atypiques
Elles n’ont pas les cadres pour les accueillir
Pas la place pour les faire exister
Pas les structures pour tirer parti de leur dynamique
C’est là que le vrai problème commence
Et c’est là que doit commencer le changement
Changer de regard, ce n’est qu’un début
Ce qu’il faut, c’est changer de paradigmes
Et repenser l’entreprise elle-même.
4. Trois changements de paradigme
1er changement de paradigme :
De la valorisation du parcours linéaire à la reconnaissance de la curiosité comme qualité
Pendant longtemps, on a dit : pour être fiable, il faut être constant
Faire la même chose
Au même endroit
Pendant longtemps
On a accepté ensuite qu’on change d’entreprise
Même plusieurs fois dans sa vie
Mais bifurquer ?
Jamais !
Et ceux qui s’intéressent à tout font peur
On les juge dispersés
Survolant la surface
On les appelle girouettes
Estimant qu’ils ne savent pas ce qu’ils veulent
Or certaines personnes avancent autrement que dans une trajectoire rectiligne
Elles explorent
Elles dévient
Elles croisent
Ce n’est pas de l’instabilité
C’est une immense curiosité
Sans cesse renouvelée
Or la curiosité est toujours perçue
Au fond
Et malgré les discours de façade
Comme un vilain défaut
Car on l’associe toujours
A tort
A la dispersion et au papillonnage
Oui, certaines personnes changent souvent de passions
Et ne maîtrisent jamais le moindre sujet
Mais d’autres, dotées d’une curiosité profonde
S’embrasent pour de nouveaux sujets
Et s’y plongent, explorent, creusent, approfondissent
Jusqu’à les maîtriser
Parfois même bien avant que le marché ne le demande
Car ce sont souvent ces mêmes individus
Qui deviennent les premiers experts
Là où il n’y avait encore personne
Mais ils n’ont pas le diplôme…
Car il n’existe pas !
Alors les entreprises ne veulent pas d’eux
Et perdent au moins deux ou trois ans
Vous avez dit quatre ?
A attendre que les premiers diplômés
De la nouvelle spécialité
Sortent de l’école.
2ème changement de paradigme :
Du diplôme comme preuve suprême de la maîtrise à la reconnaissance de la compétence vivante
Depuis longtemps, et encore aujourd’hui
Le diplôme est considéré comme la preuve suprême de compétence
Il rassure, il certifie, il place sur une carte lisible
Un diplôme dit : “Cette personne a appris, a validé, est prête”
Et c’est vrai : les diplômes protègent
Ils encadrent, ils garantissent un socle
Mais à force de tout vouloir certifier
On a oublié que la compétence se prouve aussi autrement
Par la connaissance, par l’expérience, par la transmission
Par la capacité à apprendre seul
À faire seul, à comprendre seul
L’autodidaxie n’est pas une faiblesse
C’est une forme exigeante de construction
Un savoir n’est pas toujours né dans une salle de classe
Une maîtrise n’est pas toujours tamponnée par un jury
Et beaucoup de talents probablement
Parce qu’ils n’avaient ni diplôme ni case officielle
Ont été écartés sans qu’on leur donne même
L’occasion de montrer ce qu’ils savaient faire
Aujourd’hui, dans un monde en mouvement
Où de nouveaux métiers apparaissent plus vite que les diplômes
Où de nouvelles expertises naissent dans la pratique avant d’être enseignées
Réduire la compétence au diplôme, c’est se priver de ressources précieuses
Il ne s’agit pas d’opposer les diplômés à ceux qui ne le sont pas
Il ne s’agit pas de dévaloriser les diplômes
Mais d’ouvrir le regard
De reconnaître que l’autodidaxie, la connaissance, l’usage
Sont aussi des preuves légitimes de compétence.
3ème changement de paradigme :
De la dualité généraliste/spécialiste à la la reconnaissance d’une troisième voie
L’entreprise classique oppose deux profils types :
Le profil specialisé
Un profil dont l’expertise est circonscrite, visible, certifiée
Un profil que l’on sait ranger : ingénieur, marketeur, avocat, contrôleur de gestion
Et ils est précieux
Il maitrise– diplôme faisant foi
Il est la référence dans son domaine
Il est la dimension verticale de l’entreprise
Le profil généraliste
Il sait manager, coordonner
Il est le garant de la transversalité
Il assure la cohésion, la diffusion
Il est la dimension horizontale de l’entreprise
La troisième voie
Et puis, entre ces deux figures bien connues
Il existe une autre forme d’intelligence professionnelle
A côté de laquelle passent les entreprises
Parce qu’elles confondent souvent faire plusieurs choses et ne rien faire à fond
Ce sont ceux qui s’intéressent à plein de choses
Et maîtrisent plusieurs domaines en profondeur :
Les « humanistes 3.0 »
Ceux qui vont apporter au canevas rigide
De la variété, du motif, du sens
Les humanistes 3.0 ne survolent pas, ne jonglent pas :
Ce sont des personnes capables d’apprendre vite
D’apprendre bien
D’apprendre plusieurs fois
D’apprendre, toujours
Jusqu’à la maîtrise, en profondeur
Et leur la curiosité ne tarissant pas,
Qui acquièrent au fur et à mesure des expertises multiples
Ils ne viennent pas remplacer les spécialistes ni les généralistes
Ils viennent compléter la carte
Ils viennent ouvrir des chemins nouveaux
Là où aucune route n’a encore été tracée.
5. Ce que gagneraient les entreprises à adopter ces trois nouveaux paradigmes
Les entreprises ont tout intérêt à adopter ces trois nouveaux paradigmes, car :
Quand un domaine nouveau émerge
Il n’y a pas d’expert diplômé à aller chercher
Il faut quelqu’un qui sache apprendre vite
Et s’immerger profondément
Quand des crises transforment un métier en quelques mois
Il faut des profils capables de muter sans tout perdre
De reconstruire sur du vivant, pas sur du vide ou du figé
Quand les frontières entre métiers deviennent floues
Il faut des personnes capables de relier, d’hybrider, de combiner.
6. Ce que cela implique pour les entreprises
Changer de regard n’est qu’une première étape
Il faut repenser l’entreprise
Parce qu’on ne peut pas dire qu’on cherche de l’innovation
Et écarter ceux qui apprennent plus vite que les formations n’arrivent
Parce qu’on ne peut pas valoriser les profils non linéaires
En gardant des structures rigides
Ce n’est pas qu’une question d’état d’esprit
Et cela n’implique pas d’abandonner ses repères
Les entreprises doivent simplement se réinventer
Aussi bien en termes de recrutement
Que d’organisation et de modes de collaboration.
7. Trois mobilisations possibles des humanistes 3.0
Les profils transversaux, hybrides, ou non linéaires
Ne sont pas une exception à tolérer
Ils peuvent devenir des leviers puissants de transformation interne
A condition d’être mobilisés avec intelligence
Et sans chercher à les faire rentrer dans une case
Puisqu’ils n’y rentrent pas
Les mobiliser avec intelligence c’est les utiliser pour leurs qualités propres
Leur curiosité inextinguible, doublée d’une capacité hors pair à apprendre
Et leur maîtrise de plusieurs disciplines parfois sans lien apparents
C’est aussi inventer une nouvelle forme de collaboration.
7.1 Les mobiliser comme traducteurs internes
Lorsqu’une transformation stratégique est décidée
Changement d’organisation, transformation digitale
Lancement de nouveaux produits, etc.
L’entreprise fait face à deux risques majeurs :
La direction sait ce qu’elle veut faire
Mais ne sait pas toujours comment le rendre compréhensible pour les équipes terrain
Les équipes métiers et les opérationnels vivent le changement
Comme une injonction floue, souvent mal expliquée, mal incarnée
Mal adaptée à leur quotidien
Résultat : incompréhension, inertie, résistance passive, ou désengagement
C’est là que les humanistes 3.0 peuvent jouer un rôle spécifique :
Devenir des traducteurs internes, pas en « retraduisant les mots »
Mais en faisant le pont entre l’intention stratégique et la réalité opérationnelle
Habitués à manier plusieurs langages, ils peuvent :
Décrypter la stratégie pour les équipes avec un langage clair, praticable, vivant
Et non pas en jargon corporate
Adapter la manière de présenter la stratégie en fonction des publics :
Ce qui motive un service commercial n’est pas ce qui motive un service technique
Faire remonter les malentendus, les freins invisibles
Les zones d’incompréhension
Vers la direction, en les traduisant dans l’autre sens
Ils sont légitimes pour ce rôle parce qu’ils comprennent plusieurs langages Technique, métier, humain, stratégique
Parce qu’ils pensent par ponts et pas par silos
Et leur travail sera d’autant plus facilité
S’ils sont positionnés de manière indépendante du système hiérarchique classique pour circuler librement et être facilement acceptés.
7.2 Les mobiliser comme éclaireurs d’innovation
Aujourd’hui, les entreprises détectent rapidement les nouveaux sujets
Elles organisent des veilles, elles identifient les signaux faibles
Mais entre la détection et l’application, il se passe souvent des années
Pourquoi ?
Parce qu’elles cherchent des spécialistes
Sur des terrains qui n’ont pas encore de routes tracées
Alors elles attendent
Le temps que des formations émergent
Le temps que des diplômes soient créés
Le temps que des cohortes de certifiés soient disponibles
Et pendant ce temps, le monde avance
Les éclaireurs d’innovation permettent de réduire cet écart
Ils plongent dans le nouveau sans attendre
Ils apprennent en marchant
Ils bâtissent des premiers chemins
Là où les autres attendent encore la carte officielle
Ils offrent aux entreprises un avantage décisif :
L’agilité intellectuelle appliquée
Pas une veille passive, pas une simple anticipation
Une mise en mouvement immédiate
Les entreprises doivent identifier
Ces personnes naturellement curieuses et rapides
Et leur confier des rôles ponctuels d’interface innovation.
Ils ne sont pas là pour créer la stratégie
Mais pour rendre le sujet compréhensible et actionnable
Et permettre à l’entreprise un gain de temps considérable sur ses concurrents
Grâce à une réduction du “temps mort d’adoption”
Et une montée en compétence accélérée des équipes.
7.3 Les mobiliser comme pollinisateurs internes
La véritable pollinisation interne ne consiste pas seulement à faire circuler des informations.
Relier n’est pas transformer
Dans l’entreprise classique, les généralistes jouent un rôle essentiel
Ils relient, ils fluidifient
Ils assurent la circulation des informations
La coordination des expertises
La cohérence des projets
Ils évitent les ruptures de communication
Mais leur rôle, le plus souvent, s’arrête à la surface des savoirs
Ils ne créent pas de nouvelle matière
Ils font circuler ce qui existe déjà.
La véritable pollinisation interne consiste à faire muter
Les humanistes 3.0 font muter
Pas seulement en passant d’un service à l’autre
Pas seulement en comprenant plusieurs métiers
Mais en étant capable de faire dialoguer ces savoirs de l’intérieur
Et de les enrichir de perspectives toujours nouvelles
Ils n’assemblent pas des savoirs, ils les hybrident, ils les transposent
Ils transplantent une idée d’un champ à l’autre
Ils fertilisent un problème avec une solution venue d’ailleurs
Pour créer quelque chose qui n’existait pas encore
C’est une capacité qui devient aujourd’hui décisive
Et pour cela, il faut porter plusieurs langages
Plusieurs architectures de pensée en soi
Sans cesse renouvelées
C’est ce qui caractérise les humanistes 3.0.
8. Recruter autrement
Le monde change
Les grilles, non
Les métiers se réinventent, les compétences évoluent, les formats explosent
Mais les grilles de lecture des ressources humaines restent les mêmes
Intitulés de poste figés
Filtres automatiques
Recherche de linéarité
De constance
De lisibilité
Alors même que le monde réel est flou, instable
Et demande, justement, des profils capables de le naviguer
Le monde change
Ce ne sont pas les profils qu’il faut formater
Ce sont les critères qu’il faut faire évoluer.
Evaluer le potentiel, pas l’étiquette
Ne plus chercher un intitulé de poste parfait
Mais une capacité à apprendre, à relier, à inventer
Identifier la dynamique, pas juste le diplôme
Évaluer autrement
Ne pas chercher la ligne droite
Chercher le fil rouge
La logique interne
L’élan structurant
Et surtout : ce que la personne a su faire
Là où elle n’était pas censée savoir
Écouter différemment
Moins de cases à cocher
Plus de récits à décoder
Plus de liens à repérer
Poser des questions qui révèlent les aptitudes transversales :
Racontez-moi un sujet que vous avez appris seul ?
Quels ponts avez-vous créé entre deux mondes ?
9. Vers une nouvelle approche de la collaboration
Accueillir des humanistes 3.0, ce n’est pas leur confier un nouveau poste
C’est accepter de revoir la logique même du travail
Ces profils ne rentrent pas dans une ligne de mission continue et prévisible
Ils ne remplissent pas une fiche de tâches
Ils interviennent quand il y a quelque chose à inventer
Et entre deux missions, ils se régénèrent
En se reformant, en s’enrichissant toujours plus
Cela implique une autre approche de la collaboration :
Un contrat de confiance, pas d’occupation
Un contrat de contribution, pas de production immédiate
Un contrat d’agilité, pas de rattachement fixe
Cela veut dire aussi accepter les temps morts
Ces périodes où l’humaniste 3.0
Ne sera pas directement mobilisé sur une mission urgente
Mais où il continuera de s’enrichir
De se former
De capter des signaux faibles
Pour être prêt quand l’entreprise aura besoin d’un passage à ouvrir
Ces temps morts ne sont pas des pertes
Ce sont des investissements
Ce sont eux qui garantissent que
Lorsque surgira une crise, une opportunité, un tournant
Il y aura déjà quelqu’un prêt à inventer
Pas seulement à réagir
Accueillir les humanistes 3.0
C’est accepter l’incertitude comme ressource
Et non plus comme menace
C’est comprendre qu’en période calme
Ils préparent la transformation
Et qu’en période de mutation
Ils deviennent les premiers guides.
10. Une parole à partager
Ce manifeste n’est pas une plainte
Ce manifeste n’est pas une accusation
Ce manifeste n’est pas une revendication identitaire
C’est un appel à regarder et à agir autrement
Il y a des personnes qu’on ne sait pas classer
Pas parce qu’elles sont floues
Mais parce que nos grilles sont trop étroites
Ce sont elles qui apprennent avant qu’on le leur demande
Elles qui relient là où les autres segmentent
Elles qui voient venir, parce qu’elles regardent large
Elles qui construisent autrement
Pas moins bien
Et parfois mieux
Ce manifeste est là pour que ces personnes puissent être reconnues
Et pour que les entreprises ne passent plus à côté
Alors si ce texte résonne en vous
Reprenez-le
Partagez-le
Transformez-le
Utilisez-le comme un point d’appui pour dire
Moi aussi, je crée de la valeur
Et ma valeur ne tient pas en une ligne
#h3point0
#mavaleurnetientpasenuneligne
Vous vous reconnaissez ?
Vous souhairez relayer ce message ?